Bulletin (presque) hebdomadaire de SUD Lutte de Classes éducation
1- Une rentrée en carton « pacte »
Travailler plus pour travailler encore plus mal
Changer la tête de gondole de l’Éducation nationale n’y fera rien car la succession de Blanquer puis celle de Pap N’Diaye ne sont qu’un écran de fumée : les technocrates à l’œuvre dans l’ombre sont maintenus à leurs postes, le sillon tracé depuis 2017 continue d’être creusé et nul ne doute que Gabriel Attal va poursuivre la destruction du service public d’Éducation nationale. Le « ni droite-ni gauche » vitrine de Macron ne résiste donc pas à l’examen et c’est bel et bien une école affidée à l’idéologie libérale et gouvernée par un sentiment réactionnaire qui est portée par le président et son entourage. On comprend mieux désormais pourquoi cette clique abhorre Bourdieu et ses théories car ils sont l’éclatante illustration de la connivence et de l’habitus [1] mis en lumière par les travaux du sociologue. Le curriculum-vitae des derniers locataires de la rue de Grenelle comme celui du président est à ce titre éloquent : aucun n’a fréquenté l’enseignement public, pis ils sont les porte-drapeaux d’institutions dépositaires de l’entre-soi et de l’élitisme (école alsacienne, collège Stanislas).
Dans ces conditions, il est évident que leur projet de gouvernance de l’école est clairement guidé par la volonté d’en finir avec le service public en multipliant les attaques contre les statuts, en mettant en concurrence les personnels et les établissements à l’image funeste du pacte.
Leur projet est donc libéral mais également réactionnaire. La révolte qui a suivi la mort du jeune Nahel leur sert ainsi de prétexte pour renforcer l’emprise du SNU et évoquer le serpent de mer qu’est l’uniforme.
Les paradoxes et les contradictions n’étouffent pas cet aréopage car ils sont très forts pour diligenter des évaluations et mettre en avant les prétendues vertus des politiques basées sur les preuves, en revanche il n’est pas question pour eux d’être passé au crible de cette même méthode. En effet si dans une grande entreprise l’équipe dirigeante affichait des résultats aussi mauvais que l’enquête Pirls [2], le nombre de démissions d’enseignants (39 270 en 2022, + 9 % en un an) [3] et la difficulté à en recruter, on pourrait craindre pour sa pérennité.
Mais il y a un paradoxe dans le paradoxe car ces mauvais résultats, ces contre-performances font partie du plan de démantèlement de l’Éducation nationale. On est bel et bien pris dans un processus de « destruction créatrice » tel qu’il a été théorisé par l’économiste Schumpeter. Une fois qu’on aura fait table rase du passé (les statuts, les salaires, les syndicats etc), on pourra avoir une école à l’image de ce que le libéralisme souhaite, une école libérée de ses entraves et qui pourra progresser par l’innovation et la motivation, passage obligé pour l’ouvrir plus amplement à la concurrence.
Ce n’est pas un fantasme, Macron ne dit rien d’autre quand il renvoie aux PLP que ce n’est pas grave si leur outil de travail est cassé car ils pourront toujours se recycler dans le premier degré.
On aurait donc tort d’imaginer que tout cela relève de bêtise crasse d’une minorité dominante se méfiant de la populace.
Par ailleurs, Le renforcement de l’ordre est nécessaire à la mise en place de l’idéologie libérale. Pour endiguer la colère générée par la casse sociale, il faut formater les esprits et surtout contrôler les masses. L’école est destinée à être une gare de triage encadrant les classes laborieuses. On atteint le comble du cynisme quand ses « golden boys » se tressent des lauriers sur la réussite infinitésimale des élèves du prolétariat en invoquant le mérite de ces jeunes.
Pourtant rien ne nous interdit de renverser le paradigme, rien ne nous empêche de développer une autre pensée. En effet, quel est le mérite de ces « élus » qui n’ont connu que les avantages que procure leur position sociale ? Au nom de quoi les enseignants devraient encaisser les discours de culpabilisation de ces thuriféraires de l’ordre bourgeois ?
La différence entre ceux qui tiennent les rênes et ceux qui sont à l’ouvrage dans les établissements c’est que les premiers ont un plan de bataille et qu’ils ont des leviers puissants pour continuer à diviser et atomiser les seconds. Le Pacte en est l’illustration la plus marquante. Les salaires des enseignants ne progressant pas, le ressort utilisé pour donner l’illusion d’une revalorisation s’adosse à un dispositif qui entretient les malentendus : pendant qu’une fraction de la profession se battra pour ramasser des miettes, la majorité va continuer à voir l’édifice s’effondrer et leurs conditions de travail se dégrader.
C’est un deal perdant pour les enseignants d’accepter cette obole car dans le même temps il n’est pas question de recruter. La lettre de mission entraînera la soumission à l’arbitraire.
On pourrait nous objecter que c’est déjà une gageure dans un budget contraint. C’est là où le paradigme doit continuer d’être renversé car une amélioration concomitante de la formation (initiale et continue), des conditions de travail (allègement des horaires et des effectifs) et conditions de salaire trouveraient immanquablement des volontaires pour venir s’engager dans l’Éducation nationale.
Cela suppose un autre modèle qui lutte contre l’évasion fiscale notamment, car de l’argent il y en a, mais surtout dans les poches de la bourgeoisie.
Par conséquent alors que le bateau coule qu’avons-nous à perdre et qu’avons-nous à faire ?
- N’endossons pas la responsabilité du naufrage.
- Reprenons le collectif en main et organisons-nous sur nos lieux de travail pour faire péter les carcans libéraux : évaluations individuelles ou d’établissements, Pacte, heures supplémentaires imposées.
- Et surtout reprenons confiance en nos forces. Macron, Borne, Attal, etc n’ont plus aucun crédit dans la population : les Gilets Jaunes, les retraites et la récente révolte en sont le témoignage. Nous devons croire que pouvons mettre en échec cette logique libérale et faire dérailler le train des réformes.
2- La citation que vous aviez peut-être ratée (de rien)
« Nous sommes au pic de l’inflation ! » Olivier Véran, Le Télégramme de Brest, Août 2022.
3- De la précarité des statuts à la précarité des vécus
A SUD Lutte de Classes nous revendiquons un statut unique, un corps unique et une progression identique pour tous les personnels, c’est pourquoi, de tout évidence, nous combattons les conditions de travail qui sont faites aux personnels précaires : contractuels, AESH, AED.
Pourtant la question de la précarité ne se réduit pas seulement à des salaires de misère et des conditions de travail iniques ; le vécu de ces personnels est aussi marqué d’une forme de précarité qu’on pourrait qualifier de symbolique [4].
Prenons l’exemple des AESH. Elles sont la clé de voute de l’illusion générale entretenue par le concept d’école inclusive. Les enseignants, les parents d’élèves, la communauté éducative est toujours satisfaite de les voir arriver pour ménager les malentendus entretenus par une idéologie généreuse (accueillir tous les élèves) mais subvertie (manque de moyens, accueil indigent). Pourtant cette solidarité s’arrête souvent au soulagement que procure l’irruption de ces personnels dans nos cadres de travail. Or ces collègues plus fragiles dans leur statut, dans leurs missions et parfois même dans leur existence mériteraient tout autre chose. A ce titre nous allons vous livrer ce qui nous parait être une illustration de cette précarité symbolique.
X est AESH dans une école auprès d’élèves en situation de handicap. L’inspection ASH, le PIAL, lui fait l’insigne honneur pour un revenu dérisoire de lui accorder un site d’exercice pas trop éloigné de son domicile. Cette même inspection, ce même PIAL, sont capables de se lamenter publiquement sur la difficulté à recruter des AESH nonobstant les salaires de misère puisqu’on leur permet d’exercer une activité surnuméraire, grand luxe (ménage, périscolaire, aide à la personne) hors temps de classe cela veut dire soirs et week-ends. Ces philanthropes trouvent cependant indécent que ces personnels exercent dans une école où se trouvent leurs enfants. Ils sont donc prêts à déplacer ces agents au risque de les faire démissionner car bien évidemment ces changements de conditions de travail affectent le prix des déplacements et les frais de garde éventuels (périscolaire, crèche ou assistants maternels). Notre indignation n’a pas semblé émouvoir outre-mesure ces Thénardier et pourtant elle était ô combien légitime.
Est-ce qu’on imagine un seul instant un enseignant du primaire ou du secondaire soumis à ce traitement indécent ? Évidemment non. Cet exemple pioché parmi tant d’autres montre à quel point ceux qui ont le plus de difficultés à faire valoir leurs droits sur leurs lieux de travail ont besoin de s’appuyer sur ceux qui ont des statuts.
Plus loin encore cela montre la nécessité d’avoir un statut pour ceux qui en douteraient encore ou qui voudraient succomber aux sirènes de l’innovation ou de l ‘expérimentation quel que soit le nom de toute entreprise visant à faire exploser ce qui protège les travailleurs.
4- « SUD Lutte de Classes éducation, c’est quoi boudiou ? »
SUD Lutte de Classes éducation inscrit ses orientations et ses pratiques dans la continuité historique du syndicalisme autonome et révolutionnaire, dans le cadre de la lutte des classes et des principes affirmés par la Charte d’Amiens : SUD Lutte de Classes éducation est un syndicat de classe (celle des travailleuses et travailleurs prolétaires, n’ayant que leur force de travail pour subsister) et un syndicat de lutte (refusant la cogestion avec le patronat et son avatar étatique). Son action s’inscrit dans le champ socio-économique pour y défendre nos intérêts de classe, avec comme moyen d’action la grève générale, sur les bases de l’auto-organisation contre les principes hiérarchiques.
SUD Lutte de Classes éducation c’est :
- Un syndicat Solidaire, Unitaire, Démocratique dans son projet et ses pratiques.
- Un syndicat qui ne négocie pas la régression sociale mais qui la combat dans un cadre inter-catégoriel et interprofessionnel.
- Un syndicat qui défend toutes et tous les salarié-e-s, sauf les chefs.
- Un syndicat pour un service public laïc gratuit.
- Un syndicat pour une école égalitaire et émancipatrice.
- Un syndicat anti-hiérarchique dans ses combats et dans son fonctionnement.
- Un syndicat à l’humour discutable mais à l’empreinte carbone proche de zéro et demi.
5- « Contre tout, POUR tout autre chose ! »
- Pour une école qui respecte les conditions de travail des personnels et de réels moyens pour le service public d’éducation.
- Pour l’égalité salariale en opposition à la logique de la carotte et du bâton promue par l’accord Parcours Professionnels, Carrières et Rémunérations (PPCR).
- Pour une réduction du temps de travail et pour partir plus tôt à la retraite.
- Pas un centime d’argent public à l’école privée.
- Pour la titularisation sans conditions de tous les précaires.
- Pour la réduction du nombre d’élèves par classe.
- Pour l’arrêt de la privatisation rampante et la numérisation de l’Éducation nationale.
6- Aux chiottes les brèves !
• Ruissellement mon cul sur la commode : 49,6 milliards d’euros de dividendes versés en France ce premier trimestre 2023 : record battu. Nan rien, juste comme ça.
• Laïcité ça dépend faut voir : par an, 8 milliards (filés par l’Etat) + 4 milliards (filés par les collectivités territoriales) aux établissements privés = 12 milliards. Broutille. Abaya personne pour râler là ?
• Auto/Moto Vertacomicorien : « Sous Pap y’avait moins d’pression ».
• On ira tous au paradis fiscal : le juge Renaud Van Ruymbeke estimait cet été que 8 000 milliards (trop de zéros) étaient cachés dans les paradis fiscaux. L’équivalent d’un siècle d’impôts payés par les Français OU 228 milliards d’abayas (puisque visiblement c’est le problème) à 35€ l’unité (NDLR : on est sur de l’entrée de gamme).
7- Y’a des mots Y’a débat
Le mot ce serait décivilisation. On dirait que notre Guide suprême l’a utilisé en mai 2023 lors d’un Conseil des ministres. Pour lui, les violences au sein de la société seraient liées à un « processus de décivilisation » et d’ajouter qu’il faut « être intraitable sur le fond. Aucune violence n’est légitime, qu’elle soit verbale ou contre les personnes. » (du Sergent Garcia dans le texte).
- But recherché : faire parler de lui et jouer à la guerre aux pauvres, une fois de plus. Fait l’boulot.
- But pas recherché mais bon que voulez-vous ma bonne dame : troubler un peu plus l’électeur consciencieusement naïf qui avait pourtant voulu faire barrage. Marine Le Pen a en effet rapidement emboîté le pas : « La décivilisation, c’est la barbarie (…), donc en réalité Emmanuel Macron vient une fois de plus, si je puis me permettre, nous donner raison sur le constat que nous faisons. »
- But atteint : nous amener toutes et tous à nous questionner parce que quand même y’a débat. Notre humble contribution au débat, donc :
« Des évènements suivants*, que nous qualifierons, un peu abusivement certes, de « violents contre des personnes », peut-on dire qu’ils sont le signe d’un processus de décivilisation ?
- 11 août 2023 : en pleine canicule, une citerne d’eau potable pour les migrants est retirée par la ville de Calais.
- Été 2023 : les autorités du Texas ont installé des barrières flottantes sur le Rio Grande pour empêcher l’entrée de Mexicains aux Etats-Unis. Ces barrières sont équipées de scies circulaires.
- Août 2023 : l’armée d’occupation israélienne verse du ciment dans les sources d’eau de la région d’Al-Hijrah, au sud d’Hébron, pour les bloquer et empêcher les Palestiniens de les utiliser pour l’agriculture. »
On termine par plus difficile : imaginez maintenant notre bon-président-bien-aimé-fulgurant-protecteur-intraitable dénoncer ces violences. (Rires autorisés si vous imitez bien le sergent Garcia).
* Infime partie de l’actualité dégueulasse de cet été. Voilà des faits qui seront très peu relayés par les médias et pas évoqués du tout par Macron (c’était jet-ski à Brégançon, on reste un humain qui réfléchit moins bien mouillé et on sait aussi qu’un bon journaliste ne peut pas être partout).
8- Les mots croisés qui vous rappelleront le camping comme c’était bien
(NDLR : en conférence de rédac’ on s’est dit qu’un vrai journal y’avait des mots croisés. Nous assumons ce choix éditorial fort. Du coup le Diplo laissez-moi rire hihi et la prochaine fois ce sera l’horoscope ou une page de sport pour faire sérieux.)