D’autant que les armes ne tuent pas que lorsqu’on les utilise, surtout les armes ultra-perfectionnées actuelles basées sur du numérique. Elles tuent quand on les fabrique, quand on extrait les métaux dont elles sont constituées, elles tuent ensuite quand elles ont pollué les sols. Il y a des gens qui travaillent dans des mines pour extraire des métaux dont on fait des armes et qui vont servir à tuer d’autres travailleurs pauvres ailleurs ou à « maintenir l’ordre » dans leur propre région, pour continuer à extraire et pour faire des bombes à usage unique. C’est un peu fou, non ?
L’argument imparable avancé est que relancer l’armement c’est relancer l’économie (et donc les emplois) et que cela permet d’avoir une force dissuasive, ça n’est pas pour aller se battre. Non bien sûr, et les armes, ça sert à quoi ? Et si ça n’est pas nous qui les utilisons, avons-nous envie de continuer d’être le fleuron des fabricants de mort qui permettent de massacrer des Gazaouis, des Ukrainiens, des Ouïghours, des Congolais, des Soudanais ou des Yéménites ? Une économie de la mort pour un capitalisme qui se recycle sans cesse dans d’autres formes de destruction. Car il ne faut pas s’y tromper, derrière les beaux idéaux de la guerre pour sauver la démocratie, il y a surtout et toujours des enjeux économiques, des enjeux d’accès aux ressources. En attendant, c’est à nous de nous serrer la ceinture et de renoncer à ce qu’il reste d’aides sociales et de services publics pour financer des entreprises qui fabriquent les armes qu’on nous mettra peut-être entre les mains tantôt ou qui serviront à réprimer les mouvements sociaux.
Quant à l’Éducation nationale, elle a aussi son rôle à jouer, car le terrain de bataille se situe aussi dans les imaginaires. Il faut convaincre un peuple habitué à la paix, en fait à la guerre externalisée, pour maintenir sa prospérité tranquille, que ça vaut la peine d’envisager d’aller crever pour son pays et de faire des économies dans le budget de l’État. Montrer une belle image de la guerre est essentiel : propre, indispensable, respectueuse des droits humains, comme une possibilité de vivre des expériences incroyables, de se dépasser et de devenir un héros ! Pour cela, tout est mis à contribution : les films développant un imaginaire guerrier triomphant, les jeux vidéos qui permettent de massacrer n’importe qui n’importe comment en jouissant d’une puissance tout à fait immatérielle, les discours médiatiques sur la guerre propre (comprendre la guerre avec des drones pilotés par des IA …) et l’Éducation nationale, comme au bon vieux temps des hussards de la république qui ont convaincu des milliers de jeunes d’aller se faire tailler en pièce pendant la première guerre mondiale.
Quand on pense à la militarisation de la jeunesse, via l’Éducation nationale, on pense au SNU, le service national universel, rien que ça ! La France, c’est l’univers. Depuis que le SNU est en expérimentation, on ne compte plus le nombre de malaises pour cause de garde à vous prolongé sous le cagnard. Le Retex (retour d’expérience en jargon militaire) s’alourdit si on dénombre aussi les cas de harcèlement sexuel ou de brimades racistes. La farce du SNU n’est visiblement pas du goût de toutes ses premières cibles, puisque la Cour des comptes y constate un taux de désistement de 28 %. Certes, cela fait déjà quelques participants en moins dans ces colos d’embrigadement, mais faut-il pour autant leur souhaiter de vivre des violences pour que les jeunes soient dégoûtés de l’armée ? Autant ne pas y aller ! Surtout que que les coûts de l’opération sont faramineux (un rapport de la Cour des comptes du 13 septembre 2024 estime entre 3 et 5 milliards d’euros le coût annuel de la généralisation du SNU) et qu’il y a un flou juridique important autour de l’encadrement des jeunes. Mais voilà, il y a les profs cocardiers, le chantage à ParcourSup, le fameux stage de 2de obligatoire auquel on peut échapper si on fait le SNU, il y a les Youtubeurs et autres influenceurs qui font du SNU une aventure [2], il y a l’effet de mode qui pourrait s’emparer de la classe. Et puis, il y a le Ministère de l’Éducation nationale qui claironne, au lendemain d’un rapport pourtant accablant de la Cour des Comptes, un taux de satisfaction de 98 %.
Pourtant, la collusion entre l’armée et l’Éducation nationale ne s’arrête pas là, le SNU n’en est que la fa®ce visible, c’est aussi un processus ancien. Le protocole Hernu-Savary, des noms des ministres respectivement de la Défense et de l’Éducation, visait, en 1982, à « favoriser les relations régulières entre militaires et enseignants » [3]. Il y a aussi les classes engagées, le trinôme académique, les visites de militaires dans les établissements pour l’EMC (éducation morale et civique), les élèves appelés à chanter pour des moments commémoratifs ou quand le devoir de mémoire sert la militarisation de la jeunesse, les divers supports très bien faits mis à disposition des enseignants mais qui sont, en fait, produits par des branches de l’armée.
La Classes Défense est un dispositif qui consiste à faire parrainer une classe de collège par une caserne de son choix dans le but de faire des sorties ensemble et de découvrir le métier. Bien souvent, les « sorties » sont des séances de recueillement collectif devant des monuments lors de cérémonies officielles. Le fameux « devoir de mémoire ». Le dossier « Classes Défense en action » du Général Menaouine, directeur du service national et de la jeunesse au sein du ministère des Armées, montre avec brio le résultat d’un an de propagande sur les jeunes dans plus de 570 Classes Défense [4].
Si cela ne convient pas, il y a aussi la « classe engagée ». Il s’agit pour des classes d’être inscrites sur un projet pédagogique qui suit, tout au long de l’année, quatre axes : Défense et Mémoire ; Sport et Jeux Olympiques et Paralympiques ; Environnement ; Résilience et Prévention des risques. On voit derrière ces quatre entrées se dessiner un projet politique assez clair : l’esprit de compétition via le sport, la mémoire du passé au service non pas de la paix mais de la guerre, la préparation à une lutte impitoyable pour des ressources en quantité finie, sur une planète de taille limitée, peuplée d’humains à l’appétit indéfiniment vorace, autrement appelé capitalisme. Un capitalisme devenu, dans son avatar actuel, violent et guerrier et nécessitant l’adhésion de tous, de gré ou de force, pour se maintenir. L’écologie se retrouve ainsi instrumentalisée au service de la défense dans une vision catastrophiste de l’avenir.
Ça ne suffit pas ? Il reste le Trinôme académique ; une collaboration étroite entre un recteur d’académie, un militaire et le mystérieux institut au doux nom d’IHEDN (Institut des hautes études de Défense nationale ). Le rôle des milliers de « bénévoles » de cette « simple association » est clairement défini en 4 axes dans la convention-cadre [5] qui la lie au ministère des Armées et à celui de l’Éducation nationale : 1. Développer l’esprit et la culture de défense dans les programmes scolaires. 2. Intensifier les liens entre les communautés militaire et enseignante. 3. Favoriser le partenariat entre les deux institutions notamment par des échanges d’information, de formation et de réflexion. 4. Développer des actions sensibilisant les jeunes générations à l’esprit de défense.
Macron a fait l’annonce de changer l’ennuyeuse journée défense et citoyenneté (JDC) en véritable journée de recrutement. Il s’agirait d’en faire un moment immersif pour expérimenter la « journée type d’un soldat » : lever du drapeau français et Marseillaise, puis entraînement au tir sportif, jeux de stratégie, ration de combat, expérience des métiers militaires en réalité virtuelle… La guerre présentée comme un jeu. L’armée veut également mettre en ligne une plateforme baptisée Défense +, présentée comme une « sorte de média social » pour « maintenir le lien » avec les jeunes dans la durée.
En fait, la collusion entre l’armée et l’Éducation nationale est telle que l’on ne sait plus, parmi les multiples collaborations où finit l’école et où commence l’armée. Ce qui laisse à penser sur le rôle de l’école dans la tête des gouvernants. Il faut bien reprendre en main la jeunesse et la préparer à la suite. La militarisation de la jeunesse n’est ni un fantasme ni un détail. Elle s’inscrit dans une double stratégie de passe-passe. En témoigne, l’annonce (le 19 septembre) par le premier ministre Sébastien Lecornu de la fin du SNU remplacé par… Un service militaire volontaire !
En effet, remilitariser le peuple a pour ambition de reconstituer une unité nationale mise à mal par de nombreuses fractures contre un éventuel ennemi venu d’ailleurs. Il s’agit toujours de faire oublier une guerre verticale, c’est-à-dire celle entre les riches et les pauvres, les possédants et les démunis, les dominants et les dominés, soit la lutte des classes. Bien que celle-ci ait été évacuée des discours, elle n’en existe pas moins. Mais elle est fort opportunément remplacée dans les esprits par une guerre horizontale, c’est-à dire entre peuples et territoires distincts. Mais nos ennemis ne sont pas les exploités des autres pays, ce sont les exploiteurs de tous les pays, y compris le nôtre.
Le SNU qu’est ce que c’est ?
Le SNU s’adresse à tous les volontaires français de 15 à 17 ans et comporte trois phases.
Un « séjour de cohésion » de 12 jours. Une colo de propagande pendant laquelle le ministère des Armées propose par exemple une journée « clés en main » dénommée JDM : Journée défense et mémoire [6]. La gendarmerie ou la police ne sont pas en reste puisque le ministère de l’Intérieur y propose aussi sa propre journée « clés en main », la JSI : Journée sécurité Intérieure [7].
Une « mission d’intérêt général » de 84 heures réparties au cours de l’année. Au choix, travail gratuit ou embrigadement puisque, la gendarmerie et le ministère de l’Intérieur, via leurs plans intitulés respectivement #répondreprésent et « 10 000 jeunes », tentent de faire le plein de « cadets » à cette occasion.
Une « période d’engagement » facultative au cours de laquelle le/la jeune pourrait découvrir un métier des « corps en uniforme ».
Le Trinôme de l’académie de Grenoble
- ÉDUCATION : ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse – ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation
- ARMÉE : ministère des Armées
- IHEDN : association régionale des auditeurs de l’Institut des hautes études de Défense nationale
Représentants du Trinôme :
- Madame Hélène INSEL, rectrice de l’académie
- Monsieur Michel SINOIR, directeur régional, Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt de la région Auvergne-Rhône-Alpes
- Général Hervé de COURRÊGES, commandant la 27 e Brigade d’infanterie de montagne (BIM)
- Madame Rosène CHARPINE, présidente de l’association régionale des auditeurs Dauphiné Savoie de l’IHEDN
Les représentants du trinôme sont membres de droit de toutes les instances
Réseaux des relais éducation-défense en bassin de formation :
Ardèche :
- Ardèche méridionale : M. Michael VIDAUD principal du collège Le Laoul à Bourg-Saint-Andéol
- Ardèche verte : M. Philippe TAMISIER, proviseur du lycée Gabriel Faure à Tournon-sur-Rhône
- Drôme-Ardèche centre : Mme Christelle CAPEVAND, principale du collège Ch. de Gaulle à Guilherand-Granges
Drôme :
- Drôme des collines : M. Pascal BROQUET, proviseur du lycée polyvalent Henri Laurens à Saint-Vallier
- Sud-Drôme : M. Toufik BENADDA, proviseur adjoint du lycée Roumanille à Nyons
- Vallée de la Drôme : M. Thierry DELAVET, principal du collège Revesz-Long à Crest
Isère :
- Bassin grenoblois : M. Nicolas GARRIGUES, principal du collège André Malraux, Voreppe
- Centre Isère : M. Alain DUFOUR, principal du collège Le Savouret à Saint-Marcellin
- Isère rhodanienne : Mme Christine CAETANO, principale du collège de l’Isle à Vienne
- Nord-Isère : M. Jacques BOURSIER, principal du collège René Cassin à Villefontaine
Savoie :
- Albertville : en attente de désignation
- Chambéry : M. Philippe BEYLIER, proviseur du lycée Louis Armand à Chambéry
- Maurienne : M. Olivier MIQUET, principal du collège Maurienne à St Jean de Maurienne
Haute-Savoie :
- Albanais – Annecien : en attente de désignation
- Chablais : M. Mikaël CARRERE, principal du collège Pays de Gavot à Saint Paul en Chablais
- Genevois – Haut-savoyard : M. Bernard LAMBERT, principal du collège Arthur Rimbaud à St-Julien-en-Genevois
- Pays du Mont-Blanc : Mme Hélène GRINGOZ, principale du collège du Verney à Sallanches.
Guerre de classe de guerre lasse